Femmes de pouvoir – Le féminin victorieux

Une exploration du féminin sacré et de sa fonction initiatique dans le paganisme germanique

Il y a plusieurs façons de distiller la sagesse mythique des mythes examinés dans cette série d’articles et de l’utiliser comme nourriture pour notre propre croissance spirituelle. L’un de ces niveaux d’analyse consiste à considérer les différents héros comme des individus, la femme initiatrice comme la force divine féminine – la nature, et leur quête comme une formule initiatique universelle. Nous pouvons donc tous nous efforcer de l’imiter et de nous lancer nous-mêmes dans un voyage héroïque. Ainsi, le héros en exil est un symbole de l’âme : la divinité de l’âme humaine est déguisée en matière physique – un être spirituel en exil dans le monde du devenir, qui, dans son état naturel, n’est pas conscient de sa véritable nature spirituelle, ce qui, dans les mythes, est symbolisé par la quête vers des terres étrangères, ou par le manque de connaissance des héros quant à leur origine divine. Notre tâche, si nous recherchons l’initiation héroïque, est donc de voyager aux confins du connu et d’affronter les « forces obscures » de notre propre esprit et du monde extérieur. Ce passage du seuil de la sécurité du foyer vers les zones frontalières instables peut être considéré comme une métaphore pour transcender les limites qui nous sont imposées, pour conquérir nos propres notions, souvent limitées, de ce que nous sommes. Évoluer en étant confronté à l’adversité. Se soumettre volontairement à des épreuves et rechercher ce qui nous effraie, afin d’extraire une essence divine, capable de transcender les limites de l’esprit et du corps. C’est cette entreprise qui invoque l’aide de la déesse de l’initiation. L’incantation qui la convoque est la prière du labeur héroïque. L’impératif qui s’impose à nous est donc de nous rendre dans les précipices de notre moi, d’affronter les forces déséquilibrées de notre moi et du monde, puis d’attendre l’aide de la jeune fille à l’hydromel.

Athene by Gustav Klimt
Athene by Gustav Klimt

Athéna, déesse des héros

Une autre figure divine connue qui incarne le thème de notre réflexion est Athéna, la divinité protectrice des héros. Athéna est souvent activement impliquée dans les aventures des demi-dieux grecs, les héros, et leur sert de guide lors de leur transformation en êtres spirituels. Athéna donne au héros Persée les outils dont il a besoin pour vaincre la Méduse et joue le rôle de conseillère lors de la construction de l’Argos, le navire sur lequel Jason navigue pour récupérer la Toison d’or. Athéna est aussi intimement impliquée dans les 12 travaux d’Hercule, qu’elle aide directement : lorsqu’Hercule est envoyé chercher les pommes d’or des Hespérides, il persuade le titan Atlas de récupérer les pommes, tandis qu’Hercule le soulage de sa tâche constante – soutenir le ciel. Pendant qu’Atlas s’en va récupérer les pommes, Athéna aide activement le héros à soulever les cieux, comme le montre l’une des métopes du temple de Zeus à Olympe. Plus remarquable encore, plusieurs représentations artistiques de l’apothéose d’Hercule le montrent conduit de la terre au mont Olympe par Athéna sur son char. Ce symbole est en harmonie avec l’imagerie nordique, où les valkyries accompagnent les héros tombés jusqu’au Valhalla. Une fois de plus, nous voyons une figure féminine divine fonctionnant activement en tant qu’initiatrice et guide des héros. La représentation d’Athéna ci-dessous est également tout à fait similaire, d’un point de vue artistique, aux autres initiatrices que nous avons examinées, où elle offre un breuvage au héros assis. Athéna confère la divinité aux héros par l’intermédiaire du nectar et de l’ambroisie. L’étymologie de ces mots est intéressante, car ils signifient tous deux « sans mort » ou « vaincre la mort »(1), tout comme le sanskrit amrita, qui est un autre mot pour soma, l’élixir des dieux. Elle remplit le corps d’Achille du breuvage divin avant qu’il ne déchaîne sa fureur d’un autre monde sur les Troyens. Elle remplit donc auprès d’Achille la même fonction que Sigdrifra auprès de Sigurd.

Athéna, comme nous pouvons le constater, suit le même modèle que l’initiatrice féminine dans les mythes germaniques examinés : elle donne des pouvoirs et aide les héros dans leurs quêtes mystiques, et les initie au statut divin lorsqu’ils réussissent. Athéna, comme tous ceux qui connaissent la mythologie grecque le savent, est la déesse de la connaissance : elle est née de l’union de Zeus, le roi des dieux, et de Métis, la sagesse. Elle est ainsi le symbole du savoir divin qui arme les héros et leur permet de vaincre leurs adversaires, tout comme le savoir transmis par Sigrdrifa à Sigurd, par Gunnljód à Odin et par Gróa à Svipdag ouvre la voie à leur triomphe. On voit ici que l’élément féminin, en plus d’être de nature initiatique, est aussi quelque chose qui arme les héros, et leur donne un pouvoir divin. Elle verse littéralement de l’ambroisie et du nectar – les substances qui confèrent l’immortalité – aux mortels dignes de son patronage. Il convient également de noter qu’Athéna, dans le monde grec, était associée à la royauté avant l’avènement de la démocratie. C’est pourquoi ses sites sacrés sont presque toujours situés au centre des polis, l’emplacement naturel du palais royal. Athéna est donc également une déesse de la royauté, un autre thème récurrent dans ces mythes.

Ödets gudinnor (The goddesses of Fate) norse mythology art print by swedish painter John Bauer
Les déesses du destin par John Bauer
Freyja norse goddess of love, fertility and magic represented by John Bauer
Freyja par John Bauer
De goda hexorna (the good witches) norse folklore art print by John Bauer on Mythopoetic
Les bonnes sorcières par John Bauer

Le féminin victorieux

On dit souvent que derrière chaque homme fort se cache une femme forte. Dans cet essai, nous avons vu que l’affirmation ci-dessus comporte également un élément mythique : derrière chaque grand héros, il y a une déesse. La religion indoeuropéenne, et ses différentes branches, est fortement imprégnée d’hyper-masculinité. En Grèce, nous avons les héros immortels et au Nord, la culture guerrière des tribus germaniques. Parmi toutes ces bravades et ce goût pour la guerre, il est facile de ne pas prêter attention à l’élément féminin de la tradition. Cependant, comme nous l’avons vu, le féminin joue un rôle essentiel dans les initiations héroïques que nous avons examinées. On peut presque dire qu’il s’agit de la force motrice et du plus grand pouvoir des héros que nous avons rencontrés. Le féminin est, dans le contexte indo-européen, le principe de l’initiation.

Comme on peut s’en douter, la ressemblance entre les mythes qui entourent le breuvage sacré et les points clés de ses légendes est frappante, de même que le rôle joué par la femme mystique qui confère l’apothéose. Tous les mythes concernant le breuvage renvoient à une époque où les mythologies grecque, nordique et védique n’étaient qu’une seule et même mythologie. Le méta-mythe est celui d’un héros ou d’un dieu déguisé qui se rend dans une contrée lointaine pour récupérer une boisson sacrée issue de l’union des contraires. La boisson lui est délivrée par une figure féminine divine dotée d’un grand pouvoir, qui déifie ainsi l’initié. Cette boisson confère alors à la figure héroïque la parole sacrée, la capacité de modifier la réalité physique par le biais de l’articulation. La figure féminine est en tant que telle une déesse de l’initiation. Cette figure, dans la sphère nordique, est un avatar de Freyja, la Grande Déesse. En Grèce, elle est Athéna, la déesse de la victoire, de l’intelligence et de la justice, et en Inde, elle est une manifestation de Vak Devi, la parole divine. Cette déesse, force féminine d’initiation, est active sur plusieurs plans à la fois. En tant que force spirituelle, elle agit dans tous les domaines. Dans le monde de la matière, elle est la nature elle-même, qui initie la vie et régit le cycle des saisons. Dans la sphère sociale, elle est la mère, la maîtresse de maison qui initie les invités, par l’hospitalité, à la sphère sacrée du foyer. Elle est la reine, incarnation de la terre, qui initie le roi à son pouvoir royal, et elle est la grande déesse, la véritable sainte femme, qui initie le héros ou l’héroïne par apothéose. Le féminin se tient au seuil de chaque seuil que nous traversons dans l’univers, où il joue le rôle de guide, de dispensateur de pouvoir et de don de la grâce divine. Elle est à la fois mère, épouse, prêtresse et déesse. Elle est la vie elle-même : la forme prise par l’action divine pour s’expérimenter elle-même. Elle est vak et ljód, la parole sacrée : par laquelle le divin se manifeste, par laquelle le chaos se transmue en ordre. Elle est la grande médiatrice qui donne la vie et la reprend. Elle est la force qui voile notre esprit dans la matière, et le pouvoir par lequel nous libérons les mêmes chaînes de l’âme. Elle est intemporelle et informe, mais la réalité de son être est évidente en tout.

Jai mata di!

  1. « Nec » dans nectar vient de la même racine que « nécrophilie » et « nécropole ». « Tar » signifie « surmonter » et se retrouve dans la particule sanskrite « तार », « taar », « passer à travers/surmonter ».
    L’ambroisie est composée de « a », une particule négative présente dans presque toutes les langues indoeuropéennes (Hindi « a » comme dans « adharma », « untruth », Anglais et Allemand « un » comme dans « unholy » et « unheimlich ») et de « mrbosia » qui est apparenté à « mort » en latin et « mryt » en sanskrit, c’est à dire « mort ». L’ambroisie est en tant que telle « l’absence de mort ».

Œuvres liées

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Henrik Lysøe - Norse Tradition

Norse Tradition est une organisation norvégienne à but non-lucratif qui s’efforce de promouvoir et de transmettre la tradition spirituelle nordique. Nous organisons régulièrement des conférences, des formations privées ainsi que des rituels et des retraites autour des célébrations saisonnières traditionnelles. Nous travaillons selon une méthode reconstructive basée sur le syncrétisme Indo-Européen. Ce qui signifie qu’afin de comprendre la tradition nordique, nous l’étudions à travers le prisme de la culture Indo-Européenne dans laquelle elle puise ses racines.

Nous ne pratiquons pas de reconstitution historique ni n’avons l’intention d’inventer une pratique spirituelle moderne colorée par des termes et symboles nordiques ; nous transmettons une tradition vivante. Les conférences et rites de Norse Tradition sont fondés sur des sources académiques ou historiques reconnues, d’origine nordique, védique, anglo-saxonne, gréco-romaine ou d’une autre origine indo-européenne. Ainsi nous ne sommes pas des innovateurs ; ce que nous enseignons et pratiquons a des racines anciennes.

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