Intelligence ART-ificielle

Si un algorithme crée une illustration, pourquoi devrait-on le qualifier d’autre chose qu’un outil créant une image ? Si une image est esthétique, s’agit-il d’une œuvre d’art ? Si quelqu’un utilise un programme et clique sur un bouton pour générer une image, cette personne est-elle un ou une artiste ?

L’apparition d'”art” généré par l’intelligence artificielle soulève des problématiques essentielles et pertinentes, et nous montre la différence entre le génie réel et la perfection purement technique.

Théâtre d'Opéra spatial by Jason Allen illustrating an article about artificial intelligence art on Mythopoetic
Théâtre d'Opéra spatial par Jason Allen et une machine

Il y a quelques semaines, une pièce intitulée “Théâtre d’Opéra Spatial” créée à l’aide d’un programme d’intelligence artificielle a remporté la première place d’un concours organisé dans le Colorado (États-Unis), ce qui a suscité un débat virulent autour de la définition de l’art et de ses qualificatifs.

Il semble également que l’artiste Jason Allen ait utilisé Google Translate pour trouver le nom de son œuvre.

Outre sa piètre maitrise de la langue française, Jason Allen soulève avec son travail des questions essentielles et pertinentes et défie en quelque sorte l’art moderne dans sa forme la plus absurde. Approfondissons.

Tout d’abord, il convient de préciser que cette pièce n’a pas été créée en cliquant simplement sur un bouton. Le programme utilisé ici (appelé Midjourney) propose de transformer des textes en images en utilisant l’intelligence artificielle. Ce faisant, ce programme offre en fait un nouvel ensemble d’outils de création, tout comme l’apparition de Photoshop a offert aux artistes un nouvel outil de création. Naturellement, chaque fois que de nouvelles possibilités techniques sont apparues dans le domaine de l’art, nous avons pu assister à la naissance d’un nouveau mouvement artistique, qui n’est toutefois pas nécessairement symptomatique de la mort des précédents : l’apparition de la peinture en tubes (rendue possible par l’utilisation de l’aluminium à un niveau industriel) a permis aux artistes de sortir de leurs ateliers et d’aller peindre dans la nature, plus rapidement et plus spontanément que jamais auparavant (marquant la naissance du mouvement impressionniste), l’apparition d’outils numériques tels que Photoshop ou Illustrator a a donné naissance aux arts numériques, qui ont créé ou du moins généralisé de nouvelles formes d’art telles que le graphisme ou les illustrations assistées par ordinateur. Il n’y a donc rien de nouveau ici, et le temps a suffisamment montré que ces nouvelles opportunités devraient être saisies plutôt que de succomber à notre peur d’être remplacés. L’IA n’est rien de plus qu’un outil, elle peut devenir brillante entre les mains d’un génie mais ne sera jamais géniale par elle-même.

Ceci étant dit, il est assez évident que certains opportunistes créeront des images quelconques en utilisant l’IA et les qualifieront d’art, sans pour autant qu’elles n’aient quoi que ce soit à voir avec l’art. Cela ne signifie toutefois pas que l’on doive le valider en aucun cas.

Ironiquement, cette pièce soulève également la problématique de l’esthétique, qui a été remise en question et débattue pendant un siècle, notamment depuis que Marcel Duchamp a décidé de placer un urinoir à l’envers et de le qualifier d’œuvre d’art. En utilisant un langage esthétique classique, le “Théâtre d’Opéra Spatial” replace l’esthétique au centre même du champ artistique. Cette illustration a certes été créée numériquement, elle est techniquement parfaite.

Je crois que c’est la raison même pour laquelle le débat autour de cette œuvre a émergé : il en serait tout autrement si nous parlions de quelques singes de BD dessinés en une minute sur Illustrator comme beaucoup de NFT, car cela serait tellement grotesque qu’il n’y aurait eu aucune raison d’en débattre en premier lieu. Ici, nous sommes confrontés à une image qui a véritablement une allure artistique et esthétique (la composition est structurée, les sujets sont esthétiques et l’image emploie des codes esthétiques classiques), dont le sujet est métaphysique (ce qui est chanté (la musique) crée, ou est chanté pour, une ouverture en en forme de cercle vers le cosmos, vers la Lumière elle-même ! ), dont le langage est intemporel (il n’y a pas besoin d’interprétation intellectuelle pour comprendre la scène représentée, et les codes esthétiques de représentation se rattachent à la Renaissance, associée symboliquement à une époque d’illumination intellectuelle).

En utilisant ces codes, l’artiste défie en quelque sorte l’absurdité de l’art moderne : alors que l’art moderne tombe de plus en plus dans un concours de l’absurde où, œuvre après œuvre, nous assistons toujours aux mêmes argumentations pseudo-intellectuelles de la part d'”artistes” arrogants qui justifient la monstruosité qu’ils ont créée en nous expliquant que le soi-disant symbolisme qu’elle contient est trop subtil pour que le cerveau moyen puisse le comprendre (ex. le gigantesque “Arbre” en plastique ressemblant en réalité à un sex-toy érigé place Vendôme à Paris en 2014 par Paul McCarthy), la production de M. Allen, au contraire, fait preuve d’une esthétique qui est, pour ainsi dire, parfaite (c’est-à-dire sans défauts techniques).

Cela plaiderait-il pour le retour de l’esthétique classique comme facteur déterminant de l’art ?

Le développement de ces nouvelles techniques de création est en fait le symptôme et la chance de notre époque : alors que le monde bascule dans un paradigme plus scientifique, il serait tout à fait absurde que l’art reste sur la touche, et je crois que nous devrions saisir ces nouvelles opportunités au lieu de nous insurger immédiatement contre elles. Les technologies sont devenues un aspect essentiel de la vie moderne, et bien que peu de gens puissent les utiliser sans être utilisés par elles, nous ne pouvons tout simplement pas les ignorer ou les rejeter tout à fait.

Cela dit, l’utilisation créative de ces techniques ne peut se faire que si nous employons notre génie à générer de l’art à proprement parler. Si l’on reste assis devant une machine et que l’on s’attend à ce qu’elle réalise un chef-d’œuvre par elle-même, je crains que l’on ne soit déçu. L’intelligence artificielle active cet éternel fantasme de l’homme de parvenir à la perfection, un rêve largement exploré par la littérature, que ce soit par Mary Shelley dans son roman Frankenstein ou par Goethe dans Faust, pour n’en citer que quelques-uns. Dans une certaine mesure, c’est ce même rêve que la robotique tente désespérément d’atteindre, en créant de parfaits faux humains (les humanoïdes), ou de parfaites œuvres d’art (ce serait l’art généré par l’IA, de manière exclusivement mécanique).

Malheureusement, ces créations purement automatiques ne sont rien de plus que cela, car il leur manque toujours l’étincelle de la création divine. Cette étincelle de vie qui ne peut être feinte, cette part de transcendance que chacun d’entre nous porte en soi et qui constitue le mystère même de notre existence. C’est ce génie irremplaçable, qui a peu à voir avec l’obtention d’une œuvre techniquement parfaite mais surtout avec la transmission d’une image surnaturelle, d’un personnage, d’un cadre poétique…

C’est la partie de l’art appelée génie, qui est directement liée à l’originalité et à la singularité de l’artiste.

Finalement, ce que l’art IA nous apprend, ce n’est peut-être pas qu’elle “peut faire mieux”, mais qu’elle ne peut pas le faire sans âme. Elle met en lumière une vérité éternelle pour nous : les humains sont dotés d’une âme, c’est notre génie, ce qui nous rend uniques et doit être célébré. Il est peut-être temps pour nous de reprendre contact avec elle. La bonne nouvelle, c’est que nous disposons désormais d’une toute nouvelle série d’outils pour le faire.

Quelques œuvres digitales créées par de vrais artistes

à propos de l'auteur

Alexandra Caillaud founder of Mythopoetic

Alexandra Caillaud

Créatrice de Mythopoetic.

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